mardi 29 mars 2011

NOS PILOTES EN CIEL INCONNU...


Par Elizabeth Pineau - Remerciements : Frédéric Lovighi

A BORD DU PORTE-AVIONS CHARLES-DE-GAULLE (Reuters)


S'ils restent discrets sur le détail de leurs vols en Libye, les pilotes français ne cachent pas la difficulté de l'exercice sur un terrain nouveau et fertile en dangers. Ce pays désertique trois fois grand comme la France, peuplé de six millions d'habitants, ne ressemble guère aux théâtres d'opérations plus familiers comme l'Afghanistan. "On était habitués au cadre de l'Afghanistan, où on est depuis une dizaine d'années", raconte Arthur, 26 ans, pilote de Rafale avec une demi-douzaine de missions dans le ciel libyen depuis le début de l'opération "Harmattan", au départ du porte-avions Charles-de-Gaulle. "Là-bas, il y a une expérience, des anciens vers les plus jeunes. Là, c'est difficile de s'intégrer, il y a des nouveautés", ajoute le pilote, qui vole depuis quatre ans à bord de l'avion de chasse français le plus perfectionné, dont dix exemplaires s'alignent sur le pont du "Charles". "Le territoire libyen est très différent de ce que j'ai pu connaître en Afghanistan. C'est beaucoup plus développé, la nuit, c'est très éclairé, c'est très impressionnant".

Qu'ils soient en mission de bombardement ou de reconnaissance, la principale crainte des pilotes est le dispositif de défense sol-air libyen. "Faire respecter une 'no-fly zone' (zone d'exclusion aérienne) en Libye, ce n'est pas la même chose que faire de la contre-guérilla en Afghanistan, où la menace pour les avions est quasi nulle", souligne S.D. - il ne donnera que ses initiales -, pilote de Super Etendard. "On sait que Kadhafi dispose de systèmes sol-air, russes pour la plupart. Certains ont été détruits mais il en reste encore un certain nombre." Un constat partagé par Arthur. "C'est une mission dangereuse dans la mesure où, à l'inverse de l'Afghanistan, on a beaucoup de menaces venant du sol. On ne peut pas balayer tout le territoire, qui est grand, et les opposants sont aussi malins que nous. On n'est pas à l'abri d'un système caché." "Le plus éprouvant, c'est ce stress de regarder dehors tout le temps pour vérifier un éventuel départ missile dans notre position", dit-il. Des missions au-dessus de la Libye étaient de nouveau prévues ce lundi sur le Charles-de-Gaulle, qui doit recevoir la visite du ministre de la Défense, Gérard Longuet.

BRIEFING

Prévenu en général à la veille d'une mission, le pilote se couche tôt. Debout à l'aube, il prépare sa mission de l'après-midi grâce aux données de la nuit, en compagnie d'un expert en armes et en renseignements. Parallèlement, des opérateurs programment les systèmes informatiques des avions. Environ deux heures avant le catapultage - qui fait passer un avion de chasse de 0 à 250 km/h en deux secondes dans un bruit de tonnerre -, c'est le moment du briefing qui peut être commun à la flottille, pour une meilleure coordination. "On voit à quelle vitesse on va avancer, à quel niveau de vol on va monter, quand on va ravitailler, la répartition des tâches, et comment on va réagir si on trouve quelque chose", dit S.D. Tout est prévu, surtout l'inattendu: "La météo mauvaise, des gens dans notre zone qui ne devraient y être, un retard, des problèmes techniques. Ensuite on attrape un sandwich, et on commence à s'habiller." Dans l'esprit et le corps de ces hommes sportifs et surentraînés, issus d'une sélection de l'ordre de 10 sur 3.000 au départ et dont la formation est passée par les Etats-Unis, la peur n'a pas sa place. "Dix ans que je fais ce métier, dix ans que je me prépare à ça. L'entraînement permet de masquer la peur que l'on pourrait avoir sans ce professionnalisme, note le pilote de Super Etendard. Entrer dans le cockpit c'est comme entrer dans son lit le soir, c'est un endroit que l'on connaît très bien." Compliquées sur le papier, les choses deviennent simples dans la tête des pilotes, dont l'esprit de synthèse et le sang-froid figurent parmi les qualités principales. "Tout commence par le catapultage: c'est simple mais on veut le faire bien. Ensuite on va rassembler nos avions, ravitailler. Puis passer à la recherche d'objectifs, explique le pilote. "On pourrait être submergés, mais si on prend les choses brique par brique ça devient simple."

DÉBRIEFING

L'avion revenu sur le porte-avions, une troisième phase commence. "On décompresse vraiment une fois qu'on a coupé le moteur sur le pont et là on rentre dans la phase d'analyse du vol et le débriefing, dit S.D. On voit si la mission est réussie ou ratée, et pourquoi. A chaud, puis dans le détail, on voit ce qu'on a bien fait ou pas pour s'améliorer pour la fois suivante." "Le moment où on a du plaisir, c'est quand c'est fini, que la mission est terminée et qu'elle s'est bien passée. Là, on se relâche vraiment, c'est le plaisir d'un professionnel qui a fait quelque chose de difficile et qui l'a bien fait", souligne-t-il. Au-delà de la connaissance de l'ennemi, chacun a bien conscience qu'il est ici question de vie ou de mort. "Le métier des armes impose cette réflexion à un moment ou à un autre de sa carrière", souligne un officier pilote d'hélicoptère. Désormais membre de la "meute", expression consacrée pour désigner les pilotes de l'aéronavale, Arthur parle de son métier comme d'un rêve d'enfant qui a mûri. "Quand j'étais plus jeune, c'était le côté patrouille de France qui me plaisait: ça va vite, ça fait des boucles, c'est joli. Puis, j'ai appris mon métier de pilote de combat, et là ça prend tout son sens."